De l’importance d’une saine gouvernance!
La Suisse a soutenu pendant de nombreuses années l’élaboration de la nouvelle Constitution népalaise, entrée en vigueur il y a dix ans. Pour Arno Wicki, chef de la division Asie et Amériques à la Direction du développement et de la coopération (DDC), l’un des principaux acquis de ce développement est la mise en place d’une structure étatique fédérale: celle-ci fait partie du processus visant à engager le pays dans une nouvelle spirale ascendante après les troubles de septembre 2025. Pour la Suisse, la promotion d’institutions efficaces demeure une priorité importante de la coopération au développement au Népal.

Monsieur Wicki, le Népal célèbre cette année les dix ans de sa Constitution, à l’élaboration de laquelle la Suisse a participé. Dans quels domaines le soutien de la Suisse transparaît-il dans la Constitution népalaise?
Des expertes et experts suisses œuvrent depuis plusieurs décennies au Népal et ont également apporté leur soutien au processus politique d’élaboration de la Constitution. Sur la base des expériences faites en Suisse, la conviction s’est progressivement imposée qu’une structure fédérale conviendrait mieux à un État multiethnique comme le Népal qu’un système centralisé. Le fédéralisme est, sans conteste, un aspect de la Constitution népalaise qui porte l’empreinte de la Suisse.
La Constitution est-elle également l’expression d’un processus de démocratisation au Népal? Et dans l’affirmative, quel rôle joue-t-elle à cet égard?
L’histoire du Népal témoigne d’une évolution, en plusieurs étapes, d’une monarchie absolutiste vers un système démocratique. La création d’une constitution démocratique a constitué une étape importante sur cette voie. Il est toutefois essentiel que cette constitution soit également appliquée, en particulier au niveau provincial. La Suisse a beaucoup œuvré dans ce domaine par le passé et continue à soutenir des projets pertinents.
En septembre dernier, le Népal a été le théâtre de manifestations de grande ampleur de la «génération Z». Ces troubles confirmaient-ils l’existence d’une instabilité ou, au contraire, leur caractère éphémère témoigne-t-il d’une certaine stabilité?
Comme souvent dans les pays en phase de développement, certains enjeux et moments clés peuvent être source de tensions. On peut l’observer notamment lorsque les réformes mises en œuvre mettent trop de temps à aboutir aux yeux des jeunes générations, comme c’est le cas au Népal. En septembre 2025, des manifestations ont également eu lieu contre la corruption et la pénurie d’emplois. Les contestataires dénoncent également des politiciens peu enclins à faire évoluer une structure du pouvoir sclérosée.

La Constitution a-t-elle joué un rôle stabilisateur lors de ces troubles?
À mon avis, le fait qu’une solution ait été trouvée avec le gouvernement intérimaire dans un contexte extrêmement tendu démontre la capacité de la Constitution à absorber de tels chocs. Dans le débat sur la question de savoir s’il est réaliste de promouvoir un modèle fédéral au Népal ou s’il vaut mieux revenir à un système de gouvernement centralisé, il est apparu, lors des récents troubles, que les trois échelons institutionnels jouaient un rôle essentiel (par exemple les autorités locales pour les services de base) et qu’ils devaient donc être renforcés. Il est encourageant de constater que la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement financent désormais des projets visant à mettre en place des autorités décentralisées, notamment grâce à l’influence de la Suisse.
Vous avez fait mention de groupes qui rejettent le processus de démocratisation. Quelle est la position de la population à cet égard?
La majorité du peuple népalais soutient la mise en œuvre de la Constitution actuelle fondée sur un ordre étatique démocratique. D’autres forces regrettent toutefois la monarchie ou considèrent l’État fédéraliste comme inefficace, corrompu et coûteux. Le débat sur la forme de gouvernement est très animé.
Quel a été l’impact des troubles de septembre sur les projets soutenus par la Suisse au Népal dans le cadre de la coopération internationale?
Quelques projets ont été directement touchés. Dans les communes où nous encourageons la localisation, les autorités ont subi des dommages et des activités ont été interrompues durant les instabilités qui ont affecté le pays durant plusieurs semaines.

Comment la Suisse a-t-elle réagi?
Durant cette période, notre priorité a été de rétablir les services de base aux niveaux provincial et communal. Des bâtiments administratifs avaient été incendiés et les ressources manquaient cruellement. Grâce à l’aide ponctuelle de la Suisse, les services sociaux et le service des automobiles ont par exemple pu bénéficier de locaux temporaires et d’ordinateurs, ce qui a permis aux habitants d’accéder à nouveau aux prestations sociales ou de recevoir leur permis de conduire. Les autorités ont repris leur travail dans des conditions très rudimentaires, ce qui a été perçu comme un signe de résilience et un motif d’espoir. La reconstruction à proprement parler est financée par l’État népalais, mais nul n’oubliera que la Suisse a apporté son aide sans formalités administratives dans des circonstances dramatiques.
La naissance d’une constitution est un processus de longue haleine. Le soutien apporté par la Suisse implique notamment une adaptation des systèmes et des structures sociales. S’agit-il d’un cas isolé ou la Suisse soutient-elle d’autres projets au Népal dans le cadre de cette approche systémique?
La plupart des projets soutenus par la Suisse au Népal ont pour objectif de favoriser les réformes ou d’avoir un impact systémique. La Suisse contribue par exemple à informer les jeunes Népalais sur les droits et les devoirs inhérents au travail à l’étranger et au retour au pays. Ces jeunes sont enregistrés et connaissent les enjeux de la migration. Il s’agit en outre de prévenir l’exploitation et les mauvais traitements auxquels sont confrontés de nombreux migrants.

Les ponts suspendus constituent un autre exemple : la topographie du Népal est encore plus accidentée que celle des Alpes, et les ponts suspendus construits par la Suisse sont devenus le symbole du rapprochement entre des vallées et des régions qui n’avaient pratiquement aucun contact entre elles. À l’origine, la Suisse aidait les autorités à construire des ponts et des passerelles dans les régions difficiles d’accès. Puis, elle a abordé des questions plus fondamentales, voire systémiques, comme les normes techniques, la formation de personnel spécialisé, la réglementation ou la législation dans le domaine des ponts et des infrastructures routières. Nous sommes fiers d’avoir pu contribuer, au fil des décennies, à l’édification de 10 000 ponts en lien avec des projets suisses. Aujourd’hui, le Népal dispose de ses propres ingénieurs et entreprises de construction, et nous n’avons plus que quelques projets en cours dans le domaine des infrastructures (p. ex. transfert de connaissances dans la construction de tunnels).
La Suisse et le Népal célèbreront l’an prochain le 70e anniversaire de leurs relations bilatérales. Comment celles-ci ont-elles évolué depuis les origines?
En 1956, notre ambassadeur à New Delhi a également été accrédité auprès du Népal, faisant de la Suisse l’un des premiers pays européens à établir des relations officielles avec ce pays. Des liens avaient toutefois déjà été créés précédemment, puisque le géologue suisse Toni Hagen avait mené des recherches de terrain approfondies au Népal dans les années 1950. Il avait notamment cartographié le pays et, sur la base de ses travaux, posé les bases de la coopération entre les deux pays.
Celle-ci n’a cessé de se développer depuis lors. En 2009, la Suisse a ouvert une ambassade au Népal, dans les locaux qui abritaient précédemment le bureau de coopération suisse.

Grâce à sa longue présence dans le pays et à une étroite collaboration en matière de développement, la Suisse jouit aujourd’hui d’une excellente réputation au Népal. Je pense également que les montagnes, la situation géopolitique et la diversité du Népal créent une sorte d’«affinité spirituelle» entre nos deux pays, en dépit de différences importantes. Outre les aspects techniques, ce lien revêt également une dimension émotionnelle, et aboutit à des résultats concrets. Les ponts suspendus en sont un bon exemple, tout comme l’échange de connaissances sur la gestion des risques naturels dans les régions de montagne, où le changement climatique est particulièrement visible.
Du travail sur le terrain aux réformes systémiques: quelles sont les priorités pour l’avenir?
Le programme de coopération actuel repose sur trois piliers: premièrement, soutenir le Népal dans sa transition vers le fédéralisme. Deuxièmement, créer davantage d’opportunités économiques. Troisièmement, améliorer la sécurité des migrations et soutenir la réintégration des personnes qui rentrent au pays.
À mes yeux, la valeur ajoutée de la Suisse réside principalement dans sa contribution à certains «créneaux» clés, dans lesquels elle peut transmettre son savoir-faire, et dans le développement d’approches innovantes. Cela inclut la coopération avec le secteur privé et la gestion des risques de catastrophes majeures. À titre d’exemple, la Suisse complète le soutien financier de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de développement par un suivi technique, ce qui renforce ainsi l’impact des projets. Nous n’utilisons pas de fonds de développement pour les infrastructures proprement dites.
Rappelons enfin l’importance d’une saine gouvernance. Lorsque nous favorisons la mise en place d’institutions efficaces, notre action permet de rapprocher les services des citoyens, en particulier à l’échelon provincial, et de garantir ainsi la responsabilisation et l’efficacité de l’administration publique. Car en fin de compte, une bonne gouvernance rend la coopération au développement superflue.
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